CHOQUEQUIRAO

LA JUMELLE CACHÉE DU MACHU PICCHU

Du 19 au 22 mai 2019

Préférant largement gambader dans la nature que de m’éterniser dans les villes, ma passion pour la randonnée s’est accrue durant mes voyages (bien que mes parents m’aient fait goûter à la marche aussi durant nos vacances d’été dans mon enfance!).

Lorsque deux amis Irlandais m’ont proposé de me joindre à eux pour un Trek entre nous, sans guides, à la découverte d’une citée Inca peu connue du grand public, j’étais folle de joie. Rien ne vaut une expérience vécue par soi-même !

Avant de les rejoindre, étant à Huaraz, j’ai fais une halte à Lima, capitale du Pérou. Là-bas, j’ai retrouvé une amie voyageuse, Audrey, qui a décidé de se joindre à nous, curieuse également de faire une randonnée en totale liberté.

Après 24 h de bus Lima – Cusco, nous avons retrouvé les Irlandais et organisé tout le nécessaire pour notre expédition.

Pour être honnête nous avons eu beaucoup de chance, car comme ce n’est pas le premier trek pour les garçons, ils avaient déjà du matériel et nous n’avons pas eu besoin de trop dépenser pour les préparatifs.

Après un passage dans un magasin de location et au marché, nous sommes prêts.

Avant de vous parler de mon périple, petit point sur l’histoire de la cité de Choquequirao :

L’étymologie de Choquequirao, terme Quechua, signifie « berceau d’or ». C’est la mine d’or des Incas. Ancienne cité Inca située à 3 100 mètres d’altitude, elle se compose de constructions dispersées, construites en maçonnerie de pierre qui constitue une ville typique Inca. Il y a divers secteurs tels que des temples, plateformes cérémoniales, greniers, observatoires ou encore des fontaines. Il y a d’énormes terrasses Incas partout autour du site. Les Incas vénéraient les montagnes comme des êtres vivants.

Elle présente des similitudes frappantes que ce soit par son organisation structurelle que par son architecture avec le Machu Picchu. Ces deux citées sont d’ailleurs à une centaine de kilomètres l’une de l’autre. Or, elle est beaucoup moins visitée dû à la difficulté pour s’y rendre. Seulement 30 % de cette citée Inca est visible. En effet, le reste se trouve ensevelit sous la végétation abondante de la région.

Plusieurs versions au sujet de l’histoire de ce lieu sont racontées. En faisant des recherches, j’ai réuni ces informations :

Elle fut vraisemblablement une forteresse qui défendait la vallée supérieure de L’Apurimac (un canyon gigantesque abritant un rio abondant) contre les attaques par surprise de la puissante nation des Chancas qui mirent en grave danger la capitale Inca à l’époque de Viracocha.

La citadelle de Choquequirao aurait ensuite connue ses jours de gloire sous le règne de Pachacutec (le neuvième Inca) et de son fils Tupac Yupanqui (dixième Inca) entre 1471 et 1493.

Une des légendes raconte que durant la période de guerre avec les conquistadors (entamée par Pizarro en 1534), la forme de la cité – semblable à un nid d’aigle – a permit aux Incas de se réfugier ici et de se cacher durant quarante ans. Ce serait donc un des derniers lieux de résistance de la répression espagnole.

D’une beauté imparable, elle résiste donc au passage des siècles et continue encore aujourd’hui de se fondre dans la nature de laquelle elle fait totalement partie puisque 70 % des ruines restent encore à découvrir.

Pourquoi faire Choquequirao ?

– Pour voir des paysages grandioses : entre les monts enneigés au loin, et la végétation abondante du lieu. Un mélange presque mystique.

– Pour faire un parcours peu connu des touristes et se sentir vraiment en autonomie

– Pour se dépasser (à noter que ce fût mon premier gros trek en autonomie, depuis j’en ai fait d’autres qui se sont beaucoup mieux déroulés autant au plan physique que moral)

– Pour découvrir des ruines en toute liberté, sans la cohue des touristes. (A savoir qu’il y a en moyenne 5 visiteurs par jour contre 2500 au Machu Picchu).

Jour 1

À 4h du matin, alors que Cusco est silencieux, quatre personnes enfilent leur sac à dos de 13 kg chacun, s’apprêtant à quitter le confort pour quelques jours, et vivre en totale harmonie avec la nature. Et oui, c’est nous !

Nous montons dans un taxi direction Cachora. Il est aussi possible de prendre un bus. Mais étant donné que nous sommes quatre, le prix revient au même, alors nous préférons choisir le taxi.

Alors que mes acolytes dorment sur le chemin, j’ai du mal à en faire autant. Une petite pression s’empare de moi : dans quoi est-ce que je m’embarque ? Les garçons se sont occupés de l’organisation et ce qui m’inquiète le plus, c’est que nous avons 4 jours et pas un de plus pour accomplir l’aller/retour. En effet, un des Irlandais a son vol retour le soir du 4e jour. Le temps nous est donc compté. Vais-je être à la hauteur ? 

Sur la route, nous nous retrouvons au-dessus des nuages et pouvons admirer les premiers rayons du jour, comme un air de magie dans ce décor. Ce qui me rassure à ce moment-là. 

Alors que nous arrivons à Cachora, l’ambiance est anxiogène, nous n’avons pas le temps de sortir du taxi que d’autres chauffeurs se ruent sur nous afin que nous montions avec eux pour les 10 km nous séparant de l’entrée de la marche. Moi qui aime contrôler et gérer de manière générale, ici, je laisse les autres décider. Je suis fatiguée, je ne comprends pas pourquoi nous en choisirions un taxi plutôt qu’un autre, et puis je sais que les garçons ont un budget très serrés, je les laisse négocier le prix.

Une fois à Calpuiyoc, nous nous enregistrons. Il est 9 h 15 lorsque nous débutons la marche, nous sommes à 3000 m d’altitude. 


Le début est un mélange d’excitation et de peur : la joie de me retrouver dans « l’insouciance » de me débrouiller seule, avec mes trois amis, avec mes jambes comme meilleures alliées pour les 4 prochains jours. Mais aussi, la peur de ne pas supporter le poids sur mon dos, en effet, je réalise que je vais porter ces 13 kg pendant tout le trek. C’est une première. Je suis soulagée d’avoir laissé mon appareil photo à l’hostel, je me serais ajouté trop de poids supplémentaire. Tout est parfait, tout va bien se passer.

On rigole, on apprend à se servir des bâtons de marche (première pour moi aussi ces bâtons !). Nous sommes donc à 3000 m d’altitude et pouvons voir le Rio Apurimac en contre-bas.

La rivière paraît très très loin, nous allons marcher durant 6h avec du 1500m de dénivelé. Pour cette partie, il n’y a absolument pas d’ombre, le soleil monte rapidement et c’est avec sa chaleur que nous devons nous habituer à descendre pour rejoindre la rivière. 

Nous traversons une petite cascade sur le chemin. Et nous pouvons apercevoir en face, la montagne du Salkantay, le plus haut sommet de la cordillère de Vilcabamba, une section des Andes péruviennes. Avec une altitude de 6 271 m, il est le 12e sommet le plus haut du Pérou (le premier étant Huascaran, à Huaraz). C’est grandiose de voir ce sommet nous surplomber.

Ma joie des deux premières heures s’estompe. Je crois que je prends conscience de ce que je suis en train de faire et puis mon amie Audrey est plutôt lente pour descendre, elle ne pensait pas que cela descendrait autant. Elle, est plutôt pessimiste en ce début de trek et j’essaie de la rassurer. Les garçons ont un super rythme de marche et nous nous retrouvons vite à marcher toutes les deux. L’écart se creuse rapidement. 

Alors qu’il nous reste 2 km pour atteindre la rivière, Audrey peinant, ils lui proposent de mâcher une feuille de coca, plante médicinale au Pérou, permettant de mieux gérer l’altitude. Je me dis que je vais en prendre une aussi. L’erreur : ne buvant que très rarement de l’alcool, jamais de café et ne fumant pas… Ma tête tourne et mon cœur accélère. Ce sont les deux kilomètres les plus compliqués à réaliser de cette première partie, mes genoux fatiguent. L’un des Irlandais propose de porter mon sac de couchage afin que j’aie un peu moins de charge. J’accepte avec soulagement. 

À 15 h, nous arrivons enfin tout en bas. Nous sommes dans la vallée entre un mont que nous venons de descendre, et l’autre que nous allons devoir gravir.

Durant la première partie nous avons fait plusieurs fois des pauses, mais là, c’est royal : nous avons la rivière pour nous baigner. Il fait si chaud que c’est la consécration. Nous prenons le temps de manger, je fais même une petite sieste. J’aimerais que cette pause se prolonge à jamais, je redoute le moment où il va falloir rehausser nos sacs sur le dos. Et réutiliser nos jambes. 

Pourtant nous voilà repartis, je retrouve un peu de joie au début en me disant « chouette, je vais mobiliser d’autres muscles comme on passe à la montée ! ». Mais très vite, les 6 h dans les jambes me rattrapent et la montée est rude. 

Avec Audrey, nous nous sommes rencontrées lorsque j’étais volontaire chez Aldo’s Guest House, un hostel à Huaraz. Nous avions sympathisé rapidement. Je l’ai tout de suite trouvé attachante, bien que nous ayons passé peu de temps ensemble à ce moment-là. Après une mésaventure pour elle à Lima, elle a décidé de changer son itinéraire et a préféré voyager accompagnée plutôt que seule pour les deux semaines lui restant. Nous ne nous connaissons pas tant que cela lorsque nous nous retrouvons ici. Et pourtant nous nous rendons vite compte de la solidarité qui règne entre nous : durant la descente, c’est moi qui l’ai beaucoup motivé. Et pour cette montée, c’est à son tour de me motiver. Une jolie entraide se crée entre nous. Et je vous assure que cela est sacré dans cette aventure.

Durant la montée, je comprends véritablement l’utilité des bâtons de marche. Nous finissons de grimper dans la nuit. Je suis heureuse d’avoir apporté ma lampe frontale pour cette expédition.

Vers 18 h, nous nous écroulons au campement. Je n’ai qu’une envie : me reposer. Pendant que les garçons proposent de monter les tentes, nous allons toutes les deux faire notre toilette et préparons ensuite le repas. Ce soir, c’est soupe de maïs et noodles. Je sors peut-être d’un autre monde, mais c’est la première fois de ma vie que je mange des noodles. C’était le plus pratique à transporter pour éviter d’avoir trop de poids sur le dos (sinon, j’aurais bien sûr pris des carottes et bananes à grignoter!). 

Je remercie vivement Adam et Geraoïd, mes chers amis irlandais qui me motivent énormément. Ils sont un soutient notable dans ce trek. Déjà, sans eux, je ne pense pas que j’aurai eu l’idée de faire cela. Je les trouve très patients, car ils sont habitués à faire des trek en autonomie sans problèmes. Pour nous, c’est le premier, et même si physiquement la marche est rude, mentalement, ils sont d’une aide précieuse. Ils sont drôles et toujours positifs. 

Je regarde la pleine lune se lever doucement, il fait doux ce soir. La bonne humeur est bien présente, des rires, de la complicité. Je me sens chanceuse de vivre ces moments pleins de vie. Je me sens aussi libre : j’ai tout ce dont j’ai besoin dans mon sac, je suis en pleine santé et marche dans des endroits somptueux. J’ai les étoiles qui scintillent au-dessus de ma tête : la vie est belle.

La dureté de la marche est vite oubliée dans de telles conditions. Je remercie mon corps pour sa force, son bon fonctionnement. Je suis rechargée en énergie positive et m’endors rapidement entourée du silence reposant de la montagne.


Jour 2

Dès le réveil, la bonne humeur est au rendez-vous. Je suis joyeuse. Mon corps est reposé. 

Le petit-déjeuner se composera de flocons d’avoine mélangés avec de l’eau bouillante : porridge de camping. Et on enchaîne avec le rangement du camp. Tout re-packer, ranger les sacs de couchages, matelas de sol… 

Nous voilà partis pour une journée chargée. Ce matin, ce sont 3,6 km que nous devons parcourir. De la montée, en veux-tu en voilà. Et des moustiques en guise de cortège. Au début, nous marchons tous les quatre. L’écart se creuse rapidement et je continue avec Audrey. Je réalise que comme je ne me suis pas vraiment sentie « concernée » pour la préparation du trek, je me retrouve en insécurités avec moi-même, car je ne sais pas vraiment comment se compose chaque journée. Je demande étape par étape. Ce n’est absolument pas à mon habitude. La marche peut être un état méditatif pour certain – ça m’arrive parfois à moi aussi. Or, toute cette matinée, je la passe à dialoguer avec moi-même. Tant de pensée me traverse. Mon mental est instoppable. Je propose à Audrey d’avancer à son propre rythme, je sens qu’elle est en meilleure forme et ne souhaite pas la freiner.

Je m’assois sur un rocher quelques minutes, afin de me recentrer. C’est alors que je rencontre une femme, une Anglaise. Elle aussi peine. Nous nous motivons, toutes les deux, échangeons quelques paroles avant de redevenir silencieuses. Finalement, mon rythme est plus rapide que le sien.

À savoir que ce qui est très agréable pour cette randonnée : elle est très peu touristique. Là où au Pérou, il y a des tas d’agences vendant des tours pour aller au Machu Picchu, très peu en proposent pour Choquequirao. C’est un vrai luxe d’être en pleine nature péruvienne, je reconnais-là, l’avantage à faire ce trek.

Il fait chaud encore aujourd’hui et je m’arrête régulièrement pour boire. Sur le chemin, je me retrouve à traverser de petites cascades, et même si les insectes que je côtoie le plus sont les moustiques, quelques papillons aussi se promènent autour de moi. Sentiment de légèreté.

Après trois bonnes heures de marche, nous nous retrouvons tous les quatre au Marampata. Pause du déjeuner, pour reprendre des forces, un Indien et canadien rencontrés hier sur le camp. Ils se sont rencontrés quelques jours avant de décider d’entamer cette randonnée. Je sens qu’entre eux, ce n’est pas la super entente, mais ils trouvent certainement leur compte tout de même.

Marampata est un village situé à 2850 m d’altitude, les habitants vivent en autosuffisance. Du moins, pratiquement, car ils vendent aussi des boissons gazeuse mondialement connues. Ils vivent principalement de leurs récoltes et de leurs propres élevages, ainsi que de l’accueil des marcheurs. Car si nous avons décidé de camper tout le long du périple, il est également possible de s’arrêter dans des auberges, pension complète. 

Après avoir repris des forces, nous repartons pour 3,4 km. Les garçons tracent. Je pense qu’ils réalisent que notre rythme n’est pas équivalent aux leurs. Ils nous ont prévenus ce midi que nous allons visiter les ruines incas en fin de journées. Alors que nous étions censés le faire demain à l’origine du programme. Ils nous motivent avant de disparaître : cette partie promet d’être plus plate que les parties précédentes. L’enthousiasme nous revient pendant quelque temps avec Audrey, alors que nous apercevons déjà des terrasses incas se dessiner sur le paysage. Un air mystique s’installe peu à peu.

Pour autant, il y a ce sentiment que plus nous marchons, plus les ruines paraissent loin, nous nous surprenons à nous plaindre ensemble, chacune ajoutant sa dose d’agacement. C’est une entraide dans le mauvais sens du terme que nous nous apportons présentement. Nous vivons de vraies montagnes russes émotionnelles, tout comme nos jambes qui montent, qui descendent, sur les sentiers vallonnés en direction de la cité inca. Tout à coup, alors que nous sommes en proie à nos émotions négatives, l’un des Irlandais arrive en courant en notre direction : sans son sac à dos ! Il vient nous annoncer qu’ils sont arrivés au camp, en train de monter les tentes et que nous y sommes presque. C’est alors un regain de motivation qui s’empare de nous. Nous ne nous mettons pas non plus à courir (13 kg sur le dos, je vous rappelle…). Mais le cœur y est !

Alors que nous nous rapprochons à grand pas du camp, le chemin se sépare en deux, un à gauche qui descend, l’autre à droite qui monte. Je décide de faire un exercice d’intuition qui s’est toujours révélé bien fonctionné : je me concentre sur l’un des chemins et si mon corps balance vers l’avant, c’est que c’est celui-ci, si il balance vers l’arrière, c’est que ce sera l’autre. C’est le chemin gauche qui paraît être le bon. Nous partons donc sur ce chemin. Et c’était bien le bon !

Nous arrivons au camp, toutes contentes et bien qu’épuisées, nous aidons les garçons à finaliser le campement. Nous nous changeons et posons nos sacs. Nous partons aux ruines avec pour privilège de ne rien avoir à porter sur notre dos. C’est une véritable libération, j’ai le sentiment d’être si légère, je marche beaucoup plus rapidement. Je réalise que je n’ai pas pris tant de photo que cela depuis le début du trek. Rare de ma part. Alors je profite de ne pas avoir ces kilos sur le dos pour prendre le temps de m’accroupir et photographier la végétation, les paysages. Je me reconnecte ainsi à la nature. C’est ma zone de génie que de me relier à elle en l’observant, en cherchant le bon angle, l’angle qui fera ressortir toute la beauté des plantes, du ciel, du décor. Je marche ainsi seule car les autres sont pressés d’atteindre les ruines. 

Alors que je marche dans la bonne humeur, dans cette joie simple d’être en vie, j’entends au loin un Français, il jure, seul, en criant fort. Lorsque je le croise, il m’explique qu’il fait l’expédition en groupe et qu’il est énervé du manque d’organisation. Il avait besoin d’extérioriser sa colère et je ne lui dis rien à part que je lui souhaite une bonne continuation.

L’arrivée sur les ruines est majestueuse. Le chemin pour s’y rendre monte énormément, et nous nous retrouvons tout en haut d’un mont, ici nous sommes à 3100 m d’altitude, plus haut que lorsque nous avons commencé la marche le premier jour. Au loin, les vallées, et les monts. Et sur notre gauche, la continuité des ruines, il faut descendre ce mont de l’autre côté pour arrivée sur une grande place, verdoyante, avec un arbre en son milieu, entourée de pierres, ici c’était la place principale au temps des Incas. 

Installée sur un raide flanc de montagne, nous montons donc celle-ci pour arriver en haut des ruines, c’est presque de l’escalade tant les marches sont inclinées.

Un papillon attire mon attention, il est posé sur une des marches. Il est resplendissant.

Une fois tout en haut, je m’amuse à gambader de « pièce en pièce », je monte sur un mur, puis saute pour redescendre dans une autre pièce. Ne pas avoir de poids sur le dos me donne un nouveau souffle d’énergie. À ce moment là, j’ai oublié la douleur des plus de six heures de marche que j’ai dans les jambes. Je suis juste une exploratrice des lieux. Il est 17 h et le soleil est en pleine descente : nous allons voir le coucher de soleil depuis les ruines de Choquequirao !! Quelle chance. 

Je prends des photos tout autour de moi, heureuse d’avoir tout de même mon téléphone pour immortaliser ce moment suspendu.

Puis les garçons sortent de leur sac à dos : le réchaud et du pain : nous faisons griller du pain pour le manger en admirant le coucher de soleil. Alors que je suis assise sur un mur, les pieds dans le vide, un condor passe à quelques mètres seulement de moi. Je suis ÉMERVEILLÉE. Son envergure est impressionnante. Et comme à mon habitude, lorsque je vois quelque chose de magnifique, je me mets à crier de joie et dire ô combien je suis heureuse d’avoir vu passer ce condor ! Cela fait rire les autres. C’est mon enthousiasme naturel. 

Le soleil se couche doucement, d’ici, nous voyons la rivière tout en bas de la vallée, et des nuages commencent à s’accumuler : c’est comme si nous étions au-dessus d’eux. Merveilleux. J’oublie toutes les souffrances de la journée et suis reconnaissante d’être vivante, d’exister, de vivre cet instant précieux. 

Nous repartons doucement pour le campement, en empruntant un chemin différent de l’aller, pas besoin de monter/descendre. Simplement descendre. Je chante en marchant joyeusement. Avec Audrey, nous parlons de nos accomplissements du jour. Nous pouvons être fiers de nous ! Les garçons nous félicitent, ils sont si motivants. 

En arrivant sur le camp, je m’allonge dans la tente, la tête en dehors, met une musique de fond : « Spirit Bird » de Xavier Rudd. Ainsi, je regarde les étoiles s’illuminer une à une dans ce ciel immense qui m’entoure. 

L’un des Irlandais arrive avec des figues de barbarie. En effet, sur le chemin, nous avons vu beaucoup de cactus avec ces fruits dessus. Alors que je m’étais préparé psychologiquement aux noodles de ce soir, je suis enchantée de pouvoir croquer dans des fruits bien juteux et frais !

Entre les tentes nous avons un petit mur de pierre, ce sera notre espace cuisine ce soir. La vie est douce. Le froid se lève rapidement, mais j’ai de quoi me couvrir. Au loin, la lune se lève doucement. Nous nous retrouvons à discuter avec un Canadien ainsi qu’un Argentin que les Irlandais avaient rencontré en Colombie. C’est presque improbable qu’ils se retrouvent ici, sur des ruines incas, au Pérou. La magie du voyage. 

Je m’endors avec plus de couche que la veille, ce soir nous dormons plus haut et cela se ressent. Mais mon corps a besoin de repos, alors après un dernier regard pour les étoiles, je sombre dans un profond sommeil.

Jour 3

Alors que le jour se lève doucement, je me réveille naturellement à 5 h 30. J’ouvre la tente, mais reste couché. Pour regarder les couleurs du soleil levant. Un chiot trop chou vient se joindre à moi. Je lui fais un gros câlin, je suis heureuse de partager ce moment de silence au réveil accompagné par cette petite bouille d’amour. 

Audrey et un des Irlandais sont malades. Ils font pleins d’aller/retour aux toilettes. Ils se mettent au soleil pour reprendre des forces. Avec l’autre Irlandais, Adam, nous rangeons au maximum le campement et décidons de faire quelques exercices de stretching pour se préparer à journée qui nous attend. 

J’admire la nature qui s’éveille et en profite pour prendre quelques photos. 

Vers 9 h, nous partons. Aujourd’hui, nous entamons le chemin retour. Ce trek n’est pas une boucle, c’est-à-dire qu’une fois arrivés aux ruines, pour rentrer, il faut reprendre le chemin inverse.

Un des Irlandais porte son sac à dos ainsi que celui d’Audrey, afin de laisser un petit sac seulement à Audrey pour qu’elle puisse progresser avec plus de légèreté sur le chemin. Les garçons partent en avant et nous nous donnons rendez-vous à Marampata, le village où nous avions fait un arrêt hier pour le déjeuner.

Lentement, mais sûrement, nous partons. Audrey a besoin de boire énormément, elle se déshydrate rapidement. Je sens qu’elle peine, je ne sais pas comment la motiver. Je me dis que ma présence, le fait de l’attendre est déjà un geste qui doit la rassurer. Elle n’est pas seule. Nous avons commencé ensemble, nous finirons ensemble. Plusieurs fois, elle a besoin de s’arrêter et elle me remercie à chaque fois. Aujourd’hui nous avons troquer nos shorts de marche pour nos leggins : leçon retenue ! Hier, les moustiques nous ont dévorés sur le chemin. Et pourtant, malgré nos leggins, nous nous ferons dévorer encore et encore. 

Paradoxalement à l’état d’Audrey, mentalement et physiquement cette partie de la marche se passe très bien pour moi. Je l’apprécie. Je ne souffre pas. Je réalise qu’à part des petites courbatures, je suis en parfaite santé. Je relativise. Et super nouvelle : je m’habitue réellement au poids de mon sac à dos, aujourd’hui je ne le trouve pas encombrant et le supporte beaucoup mieux. Il ne me pèse plus autant. Il fait partie de moi et je me suis faite à l’idée. 

Sur le chemin, nous rencontrons des Françaises. Elles marchent en direction des ruines. Elles proposent à Audrey un médicament qu’elle accepte avec plaisir. Elles sont adorables. Encore une fois, les joies des synchronicités se font ressentir.

Nous arrivons vers 12 h au village. Adam est en train de jouer avec un petit garçon. Audrey s’allonge sur un banc de pierre et s’endort une grosse demi-heure. Géaroïd également. Je joue avec le petit garçon, il m’offre des fleurs. 

Il est temps de repartir, car nous avons plus de 6 km à réaliser avant la tombée de la nuit. Et là, mon moral s’affaiblit. Plus de motivation. Mes jambes tremblent. Les serpentins n’en finissent plus. Je ne veux pas enjoliver le parcours, cela a été très dur, surtout moralement. Avec Audrey, nous sommes plutôt complémentaires. Alors qu’elle reprend de l’énergie, c’est elle qui va me motiver une bonne partie du trajet. Alors que nous croisons un couple de Français qui monte, nous leur expliquons ce qu’il nous reste à faire pour la journée et nous lisons sur leur visage qu’ils n’y croient absolument pas. Et je crois qu’à ce moment précis, nous arrêtons d’y croire aussi. Nous devons déjà atteindre la rivière et cela nous paraît si loin. Nous sommes démoralisées et espérons que les garçons nous proposent de dormir sur le camp à côté de la rivière. Les couleurs du soleil couchant apparaissent dans le ciel. Nous sommes presque arrivées. Et nous pensons même à prendre un cheval le lendemain pour remonter tant notre moral est au plus bas. J’essaie de me concentrer sur ma respiration. Le sol est plein de petites pierres, il faut être sans cesse attentive pour ne pas glisser.

Nous arrivons au fameux pont, qui signe pour nous à ce moment la fin de la marche pour la journée. C’est sans compter sur les garçons qui nous annoncent qu’ils veulent commencer à monter pour alléger la marche de demain, 1 h 30 de marche en plus. Ils nous proposent de nous installer la tente ici pour que nous n’ayons pas à les suivre. 

Et là, alors que nous n’avons plus aucune énergie, avec Audrey nous répondons à l’unanimité que l’on vient avec eux. On leur dit que l’on veut continuer ensemble. Ils nous demandent si nous sommes sûres (la souffrance transparaît sur nos visages, je suppose). Oui, nous sommes sûres. Nous demandons 20min de pause avant le départ. 

Sans réaliser ce que je suis en train de faire, me voilà repartie pour 1 h 30 de marche, essentiellement de la montée. Il fait nuit totale. La lune n’étant pas encore levée, il y a très peu de lumière. Encore une fois, je suis heureuse d’avoir ma lampe frontale. Au bout de 10min de marche, avec Audrey, nous nous regardons. On se demande ce qui nous a pris de dire qu’on les suivait. Nous sommes folles. Les garçons essaient de nous rassurer : encore 17 serpentins paraît-il… Youpi.

Un chat marche avec nous. Il a l’air détendu. Il prend même le temps de se poser sur des rochers en nous attendant. Il nous nargue un peu, je crois. Ou alors il nous rassure de part sa présence, et puis il nous attend. Un écart commence à se creuser entre Audrey et moi, je suis seule avec ce petit chat. Elle fait en sorte que je puisse la voir au loin tout de même.

Je me mets à pleurer. En silence. Je suis à bout. J’ai chaud. J’ai soif. J’ai mal aux pieds, aux genoux, aux cuisses, aux mollets. Je voudrais seulement m’effondrer par terre. Je pense même à ce moment-là que je vais finir ma vie ici, entre ces deux montagnes, dans la vallée. Pourtant, je continue. C’est là que je me dis que l’on peut se dépasser. Toujours plus. Je sens que je puise profondément en moi. Dans des ressources insoupçonnées. C’est peut-être difficile à réaliser juste à la lecture, or, je vous assure que c’était un effort surhumain que j’ai activé à ce moment précis.

Lorsque j’arrive au camp, je m’effondre dans l’herbe, reconnaissante d’être avec les garçons qui montent déjà les tentes. Je me change avec une force improbable.

Je mets machinalement mon tapis de sol et mon duvet et m’endors directement.

Jour 4

Avec Audrey, nous nous levons plut tôt que les garçons. J’ai très mal dormi, mes jambes sont très douloureuses. Pour autant, nous n’allons pas rester bloquer ici, il faut continuer. Nous avons décidé de partir plus tôt qu’eux. L’enjeu du jour, c’est d’arriver à 11 h en haut afin de rentrer avec un bus directement à Cusco. Il y a une certaine pression avec cet objectif, car ce soir Adam prend un avion pour rentrer en Europe. Les garçons nous ont pourtant prévenues qu’il n’y a pas de soucis, si pour nous, c’est trop rapide, nous pourrons prendre notre temps et prendre un taxi plus tard dans l’après-midi. Cependant, nous avons cette envie de finir la randonnée à quatre. 

Il est à peine 5 h lorsque deux Françaises s’aventurent donc sur le chemin du retour, éclairée par les rayons de la lune et les sons de la nature qui s’éveille. Je me dis que c’est incroyable comme le corps se recharge facilement. Je peux marcher encore malgré tous ces kilomètres déjà avalés.

Au bout de 50 min de marche, les garçons sont déjà à notre allure. Ils nous motivent. Ils nous rassurent en disant que nous sommes sur un bon rythme et que notre objectif sera atteint. 


Je me sens bien. Le soleil se lève, nous offrant de magnifiques sommets lumineux, se mêlant aux nuages et à la lune toujours bien haute. Quel panorama. Je me dis que je suis très chanceuse d’assister à un instant comme celui-ci. Ces moments uniques que la nature nous offre. Un colibri vole de branche en branche juste à côté de moi, les papillons tournoient. Le bruit de la rivière en fond.

Il y a de rares moments plats qui font plaisir à nos jambes. Nous retrouvons les garçons au mirador vers 7h. Les encouragements sont au rendez-vous pour cette dernière étape.

Car oui, c’est là que ça se corse. La montée est de plus en plus raide. Le soleil aussi. Et la chaleur combinée à ces pentes infernales rend les arrêts plus fréquents. 

Nous arrivons en bas des 12 serpentins nous restant à monter. Ils sont gigantesques. J’ai peur. Il est 8h50 lorsque nous commençons. Nous n’avons presque plus d’eau. Nul part pour recharger. Pas le choix, on grimpe. Encore une fois, je sens que je dépasse clairement mes limites. Je suis à bout. Je pleure encore. Mes nerfs lâchent. Je me demande ce qu’il m’a pris de me lancer dans ce trek. Qu’est-ce que je voulais me prouver ? Quel est l’intérêt ? Je vois tout en noir. Je n’apprécie absolument pas cette dernière partie. Je me demande comment mes jambes font pour continuer d’avancer parce que dans ma tête, je suis très pessimiste. Moi, Anaïs, l’incarnation de la joie de vivre, je ne la représente plus vraiment à ce moment précis.

Puis il ne reste plus que trois serpentins. Les trois les plus raides, je crois. Il est 10h15. We can do it!!!

Nous les gravissons. Une fois en haut de ces serpentins infernaux, nous nous partageons le reste d’eau d’Audrey. Il est 10h30. Et là, nous sommes sur du plat jusqu’à la fin. Je gambade. Je suis heureuse. JE L’AI FAIT. Nous nous retournons une dernière fois. Puis courrons presque jusqu’au point d’arrivée. 

À 10h45, nous arrivons. Les garçons avaient peur que nous ne soyons pas là à temps et sont soulagés. Nous nous félicitons.

Le bus est là. Je m’installe. Je reviens sur les différentes émotions que j’ai traversées durant ces folles journées. La douleur paraît déjà s’éloigner en même temps que les paysages défilent. C’est la fin d’une folle aventure.


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